Impasse ou sursaut : le droit international humanitaire à l’épreuve

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Deux ans après le début de l'offensive à Gaza et à l'heure où le monde connaît plus de conflits que jamais auparavant dans son histoire, DIGNITÉ International a poursuivi son plaidoyer à cinq voix en réunissant, le 2 octobre dernier, juristes, témoins et acteurs de terrain pour questionner le droit international humanitaire. Car lorsque le droit faillit à protéger les plus vulnérables, que nous reste‑t-il ? Devons‑nous nous résoudre à être dans l'impasse, ou pouvons‑nous espérer un sursaut ? Nous avons tenté de répondre à cette question en donnant la parole à ceux qui vivent, subissent, résistent - et espèrent.

À travers ce moment d'échanges, plusieurs intervenants, dont deux Gazaouis, ont été les voix pour raconter, confronter le droit et la souffrance et chercher ensemble des pistes de (re)mobilisation. Car les problématiques soulevées sont en vérité nombreuses. Bien entendu, la première d'entre elles est la souffrance : immédiate, insoutenable et d'une ampleur sans pareille. Vient ensuite la question de l'accès à ces souffrances pour les organisations humanitaires : de nombreux obstacles à surmonter, de nombreux barrages et de nombreuses pertes, aussi. Enfin, vient la capacité à documenter ces situations, si fortement bousculée, qu'elle est devenue synonyme d'accepter le risque de mourir pour réussir à porter une voix.  

En relief de toutes ces préoccupations de terrain, se pose la question du droit international humanitaire : peut‑on dire qu'il joue encore son rôle, ou faudrait‑il le repenser dans son intégralité ?  

Notre Président, Ouahid ABASSI, rappelait à juste titre dans son introduction que « le droit international humanitaire était censé être la frontière ultime face à la barbarie, le rempart fragile qui empêche la guerre de basculer dans le chaos total », mais aujourd'hui, ce rempart vacille, trop souvent bafoué. Bien que n'étant qu'un outil permettant de régir les hostilités et non un outil de prévention d'un conflit, l'application et le respect de ce droit sur le terrain représente des enjeux concrets, qui impactent des milliers de vie. 

Ces enjeux ont d'ailleurs été mis en lumière par le grand témoin de cette soirée, le Dr. Aed YAGHI, Président de NSR à Gaza, qui faisait un état des lieux du conflit israélo‑palestinien 2 ans après. Un bien sombre constat : « plus de 130 000 tonnes d'explosifs lâchés sur Gaza (…), 90% des infrastructures détruites (…), 2 millions de déplacés (…), plus de 66 000 morts estimés ».  

Si la situation à Gaza est aussi prégnante, c'est parce que, comme le soulignait le Président de Médecins du Monde, Jean‑François CORTY, bien qu'il ne puisse y avoir de gradation dans la souffrance, « ce conflit est le conflit de tous les records (…) au bout de quatre mois de conflit, c'est plus d'enfants tués sur ce territoire que sur l'ensemble des conflits dans le monde sur quatre ans (…) on est sur une situation de record avec près de 82 à 83% de morts qui sont des civils qui n'ont rien à voir avec les combattants ». En tant qu'humanitaire, il soulevait aussi parmi les spécificités de ce conflit, où la famine est orchestrée et utilisée comme arme de guerre, que l'« on a jamais vu dans l'histoire des conflits contemporains des humanitaires mourir de faim ».  

Pierre MICHELETTI, en tant qu'enseignant et dirigeant d'ONG, a d'ailleurs abondé dans le sens de M. CORTY en soulignant que bien avant les événements que nous connaissons aujourd'hui, Gaza était un territoire « sous perfusion », où tout était précisément contrôlé et que déjà dans les années 2010, les humanitaires qui partaient sur le terrain « ne revenaient pas indemnes de Gaza » mais que le conflit qui a débuté le 7 octobre 2023 avait été une « accélération cataclysmique » de ce que nous avions connu jusqu'alors.  

Julia GRIGNON, Professeure associée à l'Université de Paris Panthéon‑Assas, spécialiste du droit international humanitaire et Directrice scientifique de l'IRSEM, précisait quant à elle qu'au regard du droit international humanitaire, « tout cela n'est pas nouveau, ni dans le territoire palestinien occupé, ni dans les conflits armés » car il n'y a « pas un seul conflit armé dans lequel le droit international humanitaire aurait été intégralement respecté ». En revanche, elle souligne que ce qu'il y a de nouveau c'est « l'ampleur et le concentré de violations depuis le 7 octobre 2023, c'est la violence de la réaction israélienne et c'est la disproportion dans laquelle on voit que la force est employée », mais aussi « l'instrumentalisation du droit international humanitaire » par les forces armées israéliennes, qui, depuis deux ans, ont cherché à atteindre un niveau de granularité extrêmement fin dans la connaissance du droit international humanitaire pour justifier leurs attaques avec un argumentaire très solide.  

En complément d'analyse sur le fonctionnement actuel du droit international humanitaire, le DR. Fawzi OUSSEDIK, Professeur à l'Université de la Sorbonne à Doha (Qatar), expliquait que même si des infractions sont commises, cela n'empêchait pas les procédures d'être mises en œuvre, les mandats d'être émis et les audiences de se tenir et que finalement, le problème ne relevait « non pas des textes, mais de leur mise en œuvre » par les institutions internationales.  

Mais alors, quel avenir espérer pour Gaza et le droit international humanitaire de manière générale ?  

Sur le plan politique, peu de réponses peuvent être apportées de manière certaine, si ce n'est que le monde entier a les yeux rivés sur le plan de paix proposé par le Président américain Donald Trump, bien que cette esquisse de paix envisagée comporte encore une fois bien des failles.  

Sur le plan humanitaire, la volonté d'agir est intacte, presque bouillonnante même, mais les récentes coupes drastiques de l'aide humanitaire mondiale ont porté un coup non négligeable aux organisations de la société civile et le seul déblayement des décombres dans Gaza pourrait prendre une décennie entière selon les estimations actuelles.  

Sur le plan juridique, il manque aujourd'hui la force nécessaire pour faire appliquer les textes existants, dans un système dominé par certaines puissances de manière inégalitaire et les attentes demeurent considérables face à la lenteur constatée à l'heure actuelle pour protéger les civils, les humanitaires, les personnels médicaux et les journalistes qui risquent leurs vies sur le terrain.  

Cependant, prétendre que le droit international humanitaire est en crise ou obsolète serait se méprendre, il est à contrario plus vivant que jamais auparavant, tant il est enfin évoqué, débattu et mis en lumière. La réelle difficulté qu'il nous reste à affronter est celle de la volonté politique de le faire appliquer, ce qui souligne l'importance pour chacun d'interpeler nos autorités afin de mettre un terme à l'instrumentalisation de ce droit.  

Alain GRESH, journaliste et Directeur du journal en ligne « Orient 21 », bien que sceptique face à l'idée d'une solution à deux Etats, soulignait néanmoins que l'événement le plus extraordinaire qui avait été constaté avec la situation à Gaza, c'était justement « le développement d'un mouvement de solidarité (…) qui traverse les continents (…) et que ça, c'est porteur d'espoir, mais à condition que cela continue ».  

Le Dr. Mohammed ALSOUSI, chercheur principal au centre des conflits et études humanitaires de Doha, rappelait en mot de la fin, que si certains Etats se décidaient enfin à reconnaître un Etat palestinien, c'était grâce à toutes celles et ceux qui s'étaient engagés dans le plaidoyer pour Gaza, un plaidoyer à perpétuer afin que ce combat aboutisse à la Paix et à la liberté de tout un peuple.  

En définitive, ce colloque nous a rappelé que le droit international humanitaire est aujourd'hui à un tournant : il peut basculer dans l'oubli si l'on arrête de le défendre, ou il peut renaître si l'on s'évertue à en demander l'application. Ce sera donc notre responsabilité collective de choisir.  

DIGNITÉ International, elle, a fait son choix, celui de porter la voix de ceux qui n'en ont plus auprès des plus hautes instances de l'Etat, à travers une pétition visant les 100 000 signatures, afin de rappeler que la dignité n'est pas négociable, qu'elle n'est pas une option, mais bien une obligation et l'affaire de tous.  

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